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Sutton replia la lettre et le craquement du vieux papier résonna dans le silence de la pièce comme un grondement de tonnerre.

Puis il se rappela quelque chose et déplia de nouveau la liasse de feuillets, et il trouva le certificat dont il avait été question. Il était jauni de vieillesse… et d’un papier de moins bonne qualité que celui de la lettre. Il était manuscrit et à l’encre, et les lignes étaient si effacées qu’on pouvait à peine les lire. La date n’était pas nette, sauf le 7 final.

Sutton déchiffra le texte :

John H. Sutton a été examiné ce jour par moi et je le déclare sain de corps et d’esprit.

La signature était un griffonnage qui n’aurait probablement pu être lu même si l’encre avait été à peine sèche, mais deux lettres se détachaient assez nettement tout au bout.

Ces lettres étaient M.D.[2]

Sutton regarda fixement l’autre côté de la pièce et vit, dans son esprit, la scène en ce jour lointain.

« Docteur, j’ai l’intention de faire mon testament. Je me demande si vous pourriez… »

Car John H. Sutton n’aurait jamais dit au médecin la vraie raison pour laquelle il voulait ce certificat… la vraie raison pour laquelle il voulait que fût établi qu’il n’était pas fou.

Sutton pouvait se le représenter. La démarche lourde, lente, délibérée, prenant beaucoup de temps pour réfléchir, attribuant une importance démesurée à des qualités et des valeurs qui, même à cette époque, étaient usées et périmées après avoir été trop prônées pendant des siècles.

Un vieux tyran pour sa famille, plus que probablement. Un vieux rabâcheur pour ses voisins qui riaient derrière son dos. Un homme à qui manquait le sens de l’humour et qui coupait les cheveux en quatre à propos d’infimes détails d’étiquette et d’éthique.

Il avait fait des études de droit et il avait l’esprit d’un avocat, la lettre démontrait au moins cela très clairement. L’esprit d’un avocat pour les détails, avec la lenteur d’un propriétaire terrien et la verbosité d’un vieux bonhomme.

Mais on ne pouvait se méprendre sur sa sincérité. Il croyait avoir vu une étrange machine et avoir parlé à un homme non moins étrange et avoir ramassé une clé à molette tachée de…

Une clé !

Sutton se redressa d’un coup sur son lit.

Cette clé se trouvait dans la malle. Et lui, Asher Sutton, l’avait tenue dans sa main. Il l’avait prise et rejetée sur le tas de vieilleries avec l’os rongé du chien et les cahiers d’étudiant.

La main de Sutton tremblait tandis qu’il remettait la lettre dans son enveloppe. D’abord, ç’avait été le timbre qui l’avait intrigué, un timbre qui valait Dieu sait combien de milliers de dollars… puis ç’avait été la lettre elle-même et le fait mystérieux qu’elle fût encore fermée… et maintenant, c’était la clé. Et la clé confirmait tout.

Car cette clé signifiait qu’il y avait réellement eu une étrange machine et un homme encore plus étrange… un homme qui connaissait assez de sémantique et de psychologie pour faire perdre pied à un vieux bonhomme bavard et égocentrique. Qui avait la repartie assez vive pour empêcher ce fermier inquisiteur de lui poser les questions que celui-ci bouillait d’envie de lui poser.

Qui êtes-vous et d’où êtes-vous venu et qu’est-ce que c’est que cette machine et comment fonctionne-t-elle ? Je n’en ai jamais vu de pareille…

Des questions auxquelles il serait difficile de répondre si elles venaient à être posées…

Mais elles ne furent pas posées.

John H. Sutton avait eu le dernier mot… comme cela devait être son habitude.

Asher Sutton rit en lui-même, en pensant à John H. Sutton qui avait eu le dernier mot et comment cela s’était produit. Cela aurait fait plaisir au vieux bonhomme s’il avait seulement pu le savoir mais, naturellement, il ne le pouvait pas.

Il y avait eu, bien entendu, un petit accident. La lettre avait été perdue ou égarée d’une manière ou d’une autre, et puis égarée de nouveau… et finalement, elle était arrivée, dans les mains d’un autre Sutton, six mille ans plus tard.

Et le premier Sutton, très probablement, à qui elle pût être utile. Car cette lettre avait un rapport étroit avec quelque chose d’important dans le mystère du moment.

Des hommes qui voyageaient dans le temps. Des hommes dont les machines à voyager dans le temps se détraquaient et devaient se poser, dans l’espace ou dans le temps, comme on voudra, dans une pâture à vaches. Et d’autres hommes qui combattaient dans le temps et dont les engins en feu, hurlant à travers des courbures du temps, venaient s’abattre dans un marais.

Une bataille qui avait eu lieu en 83, avait dit le jeune mourant. Pas une bataille à Waterloo ou au large de la planète Mars, mais en 83.

Et cet homme avait crié le nom de Sutton juste avant de mourir et il s’était soulevé pour faire un signe avec des doigts étrangement enlacés. Donc, s’était dit Sutton, j’étais connu dès 83 et après 83, car le jeune homme avait dit « avait eu lieu » et cela voulait dire qu’à son époque une date qui ne viendrait que dans trois siècles était déjà historiquement du passé.

Il reprit sa veste et glissa la lettre dans la poche avec le livre, puis il sortit du lit. Il ramassa ses vêtements et commença à s’habiller.

Car il savait maintenant ce qu’il devait faire.

Pringle et Case avaient utilisé une machine pour atteindre l’astéroïde et il lui fallait découvrir cette machine.